Modifié le 19/08/2020

Règles : Ce que révèle notre façon d’en parler

Comment parlons-nous des règles ? avec quels mots ? et en quoi révèlent-ils notre approche de ce moment si particulier ? pour répondre à ces questions, Elodie Mielczareck, sémiologue spécialisée en analyse du discours, a interrogé un panel de femmes.

 

Pour bien saisir la manière avec laquelle les femmes parlent de leurs règles, Elodie Mielczareck, sémiologue spécialisée en analyse du discours, a choisi d’interroger un panel d’une dizaine de personnes, par mail, avec un spectre large allant de jeunes femmes autour de vingt ans jusqu’à des femmes d’une soixantaine d’années. « Toutes ont reçu les mêmes questions sur la manière dont elles en parlent, sur leur imaginaire, pour pouvoir extraire des grandes tendances », souligne Elodie Mielczareck.

 

Première surprise, toutes lui ont répondu, sans attendre, alors que, sur des thèmes plus sociétaux voire plus politiques, le nombre de réponses spontanées est toujours nettement plus faible. « Elles m’ont semblé très enjouées, contentes de pouvoir en parler et de répondre à toutes mes questions, ce qui prouve que le sujet n’a rien d’anecdotique », note la sémiologue

 

Deuxième surprise, si toutes les femmes ont déclaré « en parler sans aucun tabou », juste après venait une demande paradoxale : « mais ça va bien être anonyme ? »…

 

Un pilier essentiel de la féminité

 

Passé les étonnements, une première évidence s’impose : le sujet des règles se place toujours aujourd’hui comme le pilier fondamental qui définit la féminité. « Alors que la question du transgenre et de la transsexualité peuvent venir interroger ce concept, c’est comme si ce qui définit une femme n’est pas tant qu’elle ait ou non de la poitrine, ou des cheveux longs, un vrai ou faux utérus, mais qu’elle ait un rythme biologique. Si tu n’es pas une femme, tu n’as pas tes règles. On est dans quelque chose qui est lié au sauvage, au biologique, au constitutif naturel », constate Elodie Mielczareck.

 

Une vision encore très négative

 

La sémiologue a également remarqué que l’évocation des règles était toujours liée à une souffrance. « Elle peut s’exprimer sur le plan physiologique – je ne dis pas forcément que j’ai mes règles mais je dis que j’ai mal au ventre, et les gens vont comprendre – mais également en termes psychologiques : quand on veut des enfants, les règles deviennent synonymes de stérilité, de quelque chose qui ne s’est pas fait ». Quel que soit l’angle, les règles sont rarement associées à une vision positive. Les femmes plus avancées en âge semblent en parler plus positivement. A croire que cela nécessite un travail d’acceptation… Ou bien de ne plus les avoir !

 

Parmi les principaux enseignements de l’analyse menée par la sémiologue Elodie Mielczareck, nous en étions restées le mois dernier sur le constat selon lequel la façon de parler des règles était souvent drapée d’une connotation négative. Mais voilà qui mérite d’être nuancé. « Plusieurs femmes m’ont expliqué à quel point leurs règles avaient été vécues comme un enfer lorsqu’elles étaient adolescentes, précisant ensuite ‘’avoir maintenant fait la paix’’, une expression forte qui implique un combat intérieur très violent. En somme, un travail d’acceptation de soi s’avère nécessaire », estime la sémiologue. Une démarche qui peut prendre plusieurs formes. L’une des femmes interrogées a ainsi déclaré qu’elle associait désormais ses règles à la Lune, et que, pour remercier la nature, elle reversait le contenu de sa cup dans la terre. « Il s’agit là d’une vision plus mystique mais qui procède de la même acceptation », indique Elodie Mielczareck.

 

« Mal de ventre » ou « ragnagnas » ?

 

Acceptées ou non, les règles restent toujours évoquées à travers des mots elliptiques ou métaphoriques. D’un côté, certaines parlent de « mal de ventre » ou préfèrent « les Lunes sont arrivées ». Mais le vocabulaire se fait parfois plus guerrier, belliqueux, avec des expressions du style « les Anglais ont débarqué », comme si le corps était envahi par quelque chose d’extérieur. Enfin, il y a le champ des onomatopées, avec les « ragnagnas », supposé correspondre au côté « gnangnan » des femmes pendant cette période, « chiantes » pour dire le mot.

 

« Quel que soit le registre dans lequel les femmes se placent, je constate un affichage très libéré et assumé autour de la question des règles mais avec une projection très négative dans les mots pour en parler, qui contournent toujours le sujet », analyse la sémiologue. « Le philosophe Wittgenstein disait que ‘’les limites de mon langage signifient les limites de mon univers’’. Tant que les mots sont chargés sémantiquement de connotations négatives, les règles correspondront à une expérience pénible. »

 

Rétablir toute la force des règles

 

Comment, alors, changer de vocabulaire ? « Plutôt que de voir cette période de manière négative et contraignante, certaines femmes privilégient la dimension purificatrice des règles, en allant jusqu’à la régénération, voire la force, celle qui permet par exemple aux femmes de vivre plus longtemps que les hommes », explique Elodie Mielczareck. Reste qu’au sein du panel de femmes interrogées, celles qui utilisaient ces mots, positifs et justes à la fois, étaient d’un âge plus avancé que les autres. Des mots de femmes d’une grande sagesse, à n’en pas douter…

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